Avez-vous remarqué comment certaines conversations ayant un objectif de négociation, de compromis ou d’entente mutuelle peuvent rapidement devenir pénibles voire franchement énervantes? J’ai assisté récemment à un épisode extraordinaire d’une négociation entre une mère et sa fille adolescente au sujet d’un départ de cette dernière en internat dans un lycée. Pour poser le contexte, c’est la fille qui demande à intégrer l’internat et cette demande doit être approuvée par la mère qui à priori ne veut pas en entendre parler. Oui, je sais c’est le monde à l’envers 🙂

Brasser du vent

J’écoutais les arguments de l’une et de l’autre. Ceux-ci tournaient essentiellement autour d’éléments logistiques très factuels et pratico-pratiques tels que la distance entre le lieu d’habitation et le lycée (“trooop loin” pour l’une, “à côté” pour l’autre), le temps de transport qui y est associée (“trooop long” pour l’une, “à deux minutes” pour l’autre), les moyens de transport à disposition (“c’est galèèère” pour l’une, “c’est facile” pour l’autre), les règles de rigueurs dans le fameux internat, les coûts d’hébergement, l’âge de la prétendante à l’autonomie (“c’est booon” pour l’une, “c’est trop jeune” pour l’autre) et j’en passe.

Bref, à chaque argument béton de l’une était opposée une objection d’acier de l’autre. Et plus le stock de cartouches s’amenuisaient dans les argumentaires respectifs, plus la tension devenait palpable. La mayonnaise commençait à monter chez l’une comme chez l’autre. Le clash était imminent.

Avant de passer à la suite, je voudrais partager avec vous mon analyse de cette situation.

Niveaux de communication

Lorsque nous sommes en pourparlers avec un interlocuteur, la tendance naturelle de chacun d’entre nous est d’écouter et de focaliser sur le contenu du discours. Quoi de plus normal à ça, après tout?
S’il y a des mots qui sortent de la bouche de cette personne en face de moi, c’est logique que mes oreilles captent les sons formulés, les transforment en mots et phrases et me fournissent ainsi le message qui m’est destiné. De toute façon, notre vis-à-vis fait de même. Il se peut aussi que nous soyons complètement disposés à nous écouter mutuellement avec attention et bienveillance et pourtant, nos réponses peuvent être inadaptées et la conversation peut se rigidifier à n’importe quel moment. Nous sommes ici au premier niveau de la relation: celui du contenu.

C’est quoi ce bordel, alors?

Sans compter toutes les interprétations inhérentes à une communication, tout ceci se fait de manière automatique. La grande majorité des personnes pensent que ce qui sort de leur bouche est en provenance directe de leur tête. Si c’est vrai d’un point de vue anatomique car c’est bien une zone du cerveau qui produit le langage (Broca pour les intimes), d’un point de vue émotionnel c’est une toute autre histoire. En effet, les émotions et ressentis générés invariablement lors d’une conversation influencent quasi systématiquement le contenu de notre discours.
Nous sommes là au deuxième niveau de la relation: celui des émotions et sentiments.

Revenons à présent à notre exemple.

Éclaire un peu par là

Juste avant le point de non retour qui allait allumer la mèche de la poudrière sur laquelle la mère et sa fille étaient assise, une troisième personne étant un peu au fait des pièges du langage et des aléas des relations humaines proposait aux deux interlocutrices de simplement prendre conscience de leurs ressentis et besoins associés à cet instant et de le partager entre elles. Il s’agissait alors de rendre explicite ce qui est de l’ordre de l’implicite, à savoir exprimer les “vraies” raisons du désir de l’une et de l’autre.

Après un petit moment de silence propice à une connexion à tout ce qui n’était alors pas conscient (émotions, ressentis, sentiments), la conversation reprit à un niveau nettement plus apaisé que la minute d’avant. Comme quoi, parler avec le cœur tranquillise les esprits.

Concernant l’adolescente, le besoin d’intégrer l’internat de son futur lycée était de l’ordre de la découverte d’un nouvel environnement, de l’aventure qui débute à un tournant dans sa scolarité,  du lien à créer avec d’autres ados, d’une certaine quête d’autonomie, d’une volonté saine pour tester la vie sans les parents. Bref, tout ce qui a de plus naturel pour une adolescente de son âge par ailleurs bien dans ses baskets, entretenant des relations de qualité avec ses parents et traversant sereinement cette période souvent délicate.

Concernant la mère, le besoin était d’une simplicité absolue, connu de beaucoup de maman qui tôt ou tard sont confrontées à la manifestation de ce désir: garder le bébé au sein du foyer le plus tard possible ;-). Pour résumer, elle ne voulait pas voir son oisillon quitter le nid.

Ce qui fut très étonnant après cette mise à plat des besoins de chacune et du partage des émotions et ressentis, c’est la tournure qu’a pris la conversation.
D’une négociation poussive entraînant de fait un climat de conflit larvé ne demandant qu’à exploser, le fil de la conversation ne portait plus sur des éléments servant d’écran de fumée mais plutôt sur l’écoute et l’intérêt des besoins exprimés par chacune.

Dès lors, la mère et la fille parlaient à un niveau relationnel beaucoup plus apaisé car authentique. L’objectif n’était alors plus de convaincre l’autre à tout prix mais de faire en sorte que les besoins de chacune soient au moins pris en compte et au mieux satisfaits. La décision finale n’a peut-être pas encore été prise, mais les portes du changement se sont grandes ouvertes pour laisser circuler les infinis possibilités de solutions qui apparaîtront.

Qui vivra, verra…