Début d’année 2025. Peut-être un élan intérieur qui me fait contacter à nouveau le désir d’écrire, de poser mes réflexions, de structurer un peu le chahut de mes pensées. Qui sait ? Je déteste les « bonnes » résolutions de début d’année, car tout le monde sait ce qu’elles deviennent le 15 janvier. Petite musique jazzy en fond sonore, ça favorise un peu l’exercice. L’inspiration du moment m’est venue à la suite de l’écoute d’un podcast découvert récemment et dont j’aime beaucoup le format et les sujets abordés. Il s’agit de l’excellent podcast « Vlan » de Grégory Pouy, à écouter sur toutes les plateformes connues. Le thème qui m’a donné matière à penser était « Se sentir mal dans une société malade » où une psychologue, Gwenaelle Persiaux, échangeait avec l’auteur du podcast. Autant j’étais aligné à 90% avec le développement des idées présentées, autant un passage de l’émission m’a donné envie de déconstruire un discours que j’entends de plus en plus dominant dans la sphère de la santé mentale : la nécessaire place des relations sociales pour une bonne santé mentale et le bien-être.

« Les taux élevés d’isolement social et de solitude dans le monde ont de graves conséquences sur la santé et le bien-être. Les personnes qui n’ont pas suffisamment de liens sociaux étroits sont davantage exposées au risque d’accident vasculaire cérébral, d’anxiété, de démence, de dépression, de suicide et bien d’autres maladies. Cette commission de l’OMS contribuera à faire du lien social une priorité en santé mondiale et à partager les interventions les plus prometteuses. ».

Ce n’est pas moi qui l’invente, c’est le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’OMS lors de la création de cette commission en 2023 (source). J’ai pris exprès un exemple venant de cette institution internationale majeure, mais des exemples illustrant la nécessaire place des relations sociales pour le bien-être et la santé mentale, il y en a pléthore partout sur le web ou dans les médias santé.

Moi-même en tant que soignant en clinique psy et thérapeute, je promeus largement auprès de mes patients les bénéfices des relations sociales. Certains troubles rencontrés par mes patients sont en lien étroit avec ce défaut de relations sociales voire même en sont un symptôme. Par exemple, le trouble de l’addiction à l’alcool est considéré comme « une maladie de la relation qui ne peut être soignée que par la relation » (source : Sortir de l’addiction ? ou de la des-addiction de Grégoire Vitry, François Jullien. Broché – Grand livre, 10 octobre 2023). J’avais même commis un article il y a plusieurs années au sujet de la solitude des personnes âgées.

Pour autant, avec le développement de ma pensée et le fruit de mes investigations (ou l’inverse) il me semble aujourd’hui que le discours dominant concernant les bénéfices des relations sociales manque un peu de nuances et passe à côté d’une autre version de l’histoire : celle des bienfaits de la solitude. Essayons de faire un peu de tri dans tout ça,  remettre l’église au centre du village tout en évitant de jeter bébé avec l’eau du bain (petit clin d’œil aux « vieux » lecteurs de ce blog). 

Solitude VS Isolement social

Pour commencer, si je reprends la déclaration du Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, il y mentionne dès le début « les taux élevés d’isolement social et de solitude« . Or, il me semble déjà crucial de distinguer la solitude de l’isolement social, notamment en qualifiant chacun de ces termes. La solitude choisie n’est pas la même chose que l’isolement social subie.

Une étude de Christopher R. Long and James R. Averill en 2003, (source : Solitude: An Exploration of Benefits of Being Alone) a montré que la solitude, quand elle est volontaire, peut aussi avoir des effets bénéfiques sur le bien-être mental, notamment en favorisant l’autorégulation émotionnelle, la réflexion personnelle, la liberté, la créativité, l’intimité et la spiritualité. C’est pas rien quand même.

Et c’est là qu’il est important de bien faire la distinction avec l’isolement social forcé qui, lui, génère à moyen et long terme des effets négatifs pour les individus qui n’ont pas choisi cette situation. Cet état subi, auquel ils n’ont pas forcément été préparé, est source d’anxiété, de tristesse et peut favoriser l’entrée d’un état dépressif dans leur vie. Je vous renvoie à l’article sur la solitude des personnes âgées que je citais plus haut.

Pour commencer, il me paraît donc essentiel de bien distinguer la solitude volontaire, aux effets bénéfiques, de l’isolement social forcé, qui engendre des conséquences négatives sur la santé mentale. De ce point de vue, l’injonction des relations sociales comme nécessité absolue pour la santé mentale me paraît déjà un peu trop trop simpliste.

Mais continuons à creuser un peu.

Bénéfices documentés de la solitude

Quitte à citer quelques sources vantant les bienfaits de la solitude, allons-y pour quelques références qui viennent apporter un contrepoids à l’injonction des relations sociales.

Dans une étude de 2021 menée par Weinstein N, Nguyen TV, Hansen H, les chercheurs ont montré que la solitude, quand elle est choisie et bien gérée, est source d’enrichissement et d’épanouissement, notamment en matière de travail sur soi, de réflexion personnelle et d’humeur paisible. C’est grosso-modo les mêmes conclusions que celles citées dans le paragraphe précédent. 

Dans cette même étude, un autre bénéfice est cité et sur lequel il me semble important de zoomer : celui de la motivation auto-déterminée.

La motivation auto-déterminée c’est quand vous faites quelque chose parce que VOUS le voulez vraiment, et non pas parce que quelqu’un vous y oblige ou que vous vous sentez coupable de ne pas le faire. Dans le contexte de la solitude, la motivation auto-déterminée permet de vivre la solitude comme un choix positif, aide à mieux profiter des moments passés seul(e) et contribue à un meilleur bien-être pendant ces moments de solitude. Pour prendre un exemple un peu trivial, si vous décidez de manger une salade parce que vous en avez envie et que ça vous fait plaisir, vous êtes dans une motivation autodéterminée. En revanche, si c’est votre médecin ou votre nutritionniste qui vous l’impose parce que vos analyses de sang montrent que c’est du beurre liquide qui coulent dans vos veines ou que vous devez simplement perdre du poids, la même salade n’aura clairement pas la même saveur.

Une autre étude datant de 2016, de Thuy-vy T. Nguyen , Richard M. Ryan, et Edward L. Deci, démontre que la solitude a des effets complexes mais potentiellement bénéfiques sur notre état émotionnel.

Le principal avantage identifié ici est l’effet « désactivateur » de la solitude, c’est-à-dire qu’elle diminue à la fois les émotions intenses positives (comme l’excitation par exemple) et négatives (comme l’anxiété ou la colère), tout en favorisant des états plus calmes. Ces bénéfices sont d’autant plus importants lorsque la solitude est choisie volontairement et non imposée (on revient encore sur cette distinction fondamentale).

Enfin une dernière étude datant de 2019 a pris un angle différent en s’intéressant au sentiment de « manque de solitude » (aloneliness en anglais). C’est grossièrement le sentiment désagréable que certaines personnes éprouvent quand elles n’ont pas assez de temps pour être seules (là il faut relire 2 fois, car c’est pas très intuitif à première vue; ça fait bugger le cerveau).

Là encore, tout dépend du choix de la personne à rechercher la solitude ou pas. Dans les cas où une personne recherche la solitude mais qu’elle n’y parvient pas, des effets négatifs sur son bien-être mental apparaissent. Le problème n’est pas tant le temps passé seul, mais plutôt l’écart entre le temps qu’on aimerait passer seul et le temps qu’on passe réellement seul. C’est comme ça que certaines personnes se sentent mal parce qu’en permanence stimulées par les interactions sociales autour d’elles (famille, amis, travail, enfants, voisins, tata fifine, etc.)

Au final, l’idée serait plus de trouver un équilibre personnel entre le temps passé avec les autres et le temps passé seul. Et cet équilibre est différent pour chaque personne. Il n’y a donc pas de « bonnes » quantité de temps à passer seul ou en relations sociales, car ceci dépend largement des besoins individuels.

Voilà déjà un peu plus de nuance à apporter à l’histoire des « nécessaires » relations sociales.

La nuance de la nuance

Alors oui, en fonction des arguments que je souhaite mettre en avant, il est facile d’aller chercher des études qui vont dans le sens de ce que je souhaite défendre (coucou Cherry picking). C’est pourquoi, je vais aussi nuancer ma propre position sur un point bien précis, (avancée d’ailleurs par la psy dans le podcast dont je parlais au début) : quand la recherche de solitude masque aussi des difficultés à être au contact de l’autre. 

C’est effectivement une problématique que je rencontre souvent avec mes patients. 

L’autre étant un miroir de nous-même (surtout de nos zones d’ombres), il peut parfois être difficile d’être en relation avec lui ou elle. La relation étant une grande révélatrice de nos failles, de nos traumas, de nos fantômes du placard, vous conviendrez aisément que si je ne suis pas en paix avec tout ça et que ce « tout ça » me donne une image de moi dégradée, que je n’aime pas, ça va m’être compliqué de me regarder dans le miroir que représente l’autre. La stratégie d’adaptation qui me reste alors pour éviter ce mal-être serait justement d’éviter le contact social et ainsi me réfugier dans une forme de solitude.

Ceci dit, la question à se poser à cet endroit-là serait donc de savoir si la solitude que je recherche est-elle déterminée par ce que je veux vraiment (j’y vais par choix conscient) ou m’est-elle imposée par quelque chose qui me pousse à y aller (j’y suis contraint) ?

L’exemple le plus extrême qui ouvre encore à une autre forme de solitude, est le phénomène des Hikikomori initialement décrit au Japon, mais dont on retrouve de plus en plus de cas dans d’autres pays asiatiques et occidentaux. C’est une forme de retrait social extrême qui conduit certains individus, généralement des jeunes hommes de 15 à 30 ans, à s’isoler de la société, restant confinés dans leur chambre pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. Il y a là, bien entendu, d’autres facteurs qui entrent en ligne de compte, notamment sociétaux, familiaux ou psychologiques.

Critique de l’injonction des relations sociales

La solitude est un phénomène complexe qui mérite une analyse nuancée. Si elle peut être une source d’épanouissement lorsqu’elle est choisie consciemment, elle peut aussi devenir le symptôme d’une souffrance psychique profonde. L’enjeu thérapeutique (s’il y en a un) consiste donc à accompagner les personnes vers une meilleure compréhension de leur rapport à la solitude, en les aidant à distinguer ce qui relève d’un choix authentique de ce qui constitue une fuite face aux difficultés relationnelles. Cette démarche favorise un équilibre sain entre moments de solitude et interactions sociales.

Loin de moi donc de rejeter en bloc la place des relations sociales dans le bien-être en santé mentale. Pour autant, et c’était là le sens de mon propos, il me semblait important de souligner que ce n’est pas tant l’adhésion ou le rejet de relations sociales qui est important, mais plutôt la liberté de choisir son niveau d’engagement social selon ses besoins personnels.

La capacité à être seul est, de mon point de vue, plutôt un signe de maturité émotionnelle et de bonne santé mentale. En en poussant un peu le bouchon, je pourrai même avancer qu’une certaine forme de pression sociale pour répondre à l’injonction des relations sociales comme discours de plus en plus dominant, peut devenir elle-même source d’anxiété et de stress, mêlant la culpabilité de « ne pas être dans la norme » et le sentiment d’exclusion, voire d’ostracisation (j’exagère à peine).

Un comble pour celui ou celle qui, au départ, ne faisait que répondre à un besoin personnel.


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