L’article invité « dépression et sexualité » que voici concerne un sujet Ô combien important et pourtant souvent tabou quand une dépression s’invite dans la vie d’une personne. Je reçois aujourd’hui Catherine TROADEC, psychologue clinicienne et sexologue, qui co-anime avec le Dr Arnaud ZELER, le site Sexoblogue.fr, site web à destination du grand public et des professionnels de santé.

Elle nous partage aujourd’hui son regard d’experte sur le lien entre dépression et sexualité.


L’association entre difficultés sexuelles et dépression a largement été démontrée. Il reste cependant difficile, chez certains patients, de distinguer la cause de l’effet.

On sait aujourd’hui qu’il existe un certain nombre d’interactions entre dépression, baisse de la libido et apparition de troubles sexuels. En effet :

  1. Une dysfonction sexuelle sous-jacente peut entraîner une dépression
  2. La dépression peut altérer la sexualité (baisse de la libido, trouble de l’érection ou au contraire hypersexualité)
  3. La dysfonction sexuelle peut être causée par les traitements de la dépression : soit par la iatrogénie médicamenteuse, soit parce que le travail psychothérapeutique va bouleverser l’équilibre du couple
  4. Les trois mécanismes sont souvent intriqués
  5. Sans oublier les cofacteurs et les comorbidités

Quand la dysfonction sexuelle est à l’origine de la dépression

Souffrir d’une dysfonction sexuelle est généralement très délétère pour l’estime de soi, la confiance en soi et la relation avec un partenaire intime.

Cette blessure narcissique va fréquemment conduire à un état dépressif de manière directe ou indirecte, par le biais la détérioration de la relation affective de couple et les retentissements sur la vie sociale.

Un grand nombre de problèmes sexuels peuvent ainsi favoriser la dépression. 

Chez l’homme, on notera notamment :

  • La dysfonction érectile, qui touche fortement les hommes qui en souffrent dans leur identité masculine, allant jusqu’à ne plus se reconnaître en tant qu’homme.
  • L’éjaculation prématurée, pour des raisons similaires à la dysfonction érectile. 
  • L’hypersexualité, par les comportements de mise en danger de soi ou d’autrui ou les retentissements sur la vie de couple. 
  • Toutes les paraphilies, pour des raisons similaires à l’hypersexualité, avec en plus de possibles conséquences judiciaires. 
  • Et potentiellement toutes les autres dysfonctions sexuelles qui seront à l’origine d’une souffrance et d’un retentissement sur les vecteurs importants de la vie, comme le soulignent le DSM V et la CIM 10.

Chez la femme, on notera particulièrement :

  • Au premier plan, les troubles du désir et le vaginisme, qui peuvent être sources de conflits dans la relation entre partenaires intimes.
  • Et, comme pour l’homme, toutes les autres dysfonctions sexuelles.

Quand la dépression est à l’origine de la dysfonction sexuelle

La dépression est une pathologie entraînant un fort retentissement sur les capacités sociales des individus. Elle est à l’origine d’une importante baisse de l’estime de soi, de sentiments d’impuissance, de vacuité qui poussent fréquemment à l’isolement relationnel et affectif. Elle est également marquée par une perte du désir de manière générale, de l’élan vital et du plaisir. 

La perte de l’élan vital se traduit dans 80% des cas par une baisse, voire une perte de la libido et donc un désir sexuel hypoactif, qui est certainement la principale dysfonction sexuelle du sujet déprimé.

La dépression et le retentissement négatif sur l’image de soi qu’elle entraîne, sont des sources d’une importante anxiété qui peuvent être à l’origine, chez l’homme, d’une anxiété de performance qui va entraîner une dysfonction érectile psychogène par sur-stimulation noradrénergique.

Chez la femme, le syndrome dépressif peut conduire à un désinvestissement de la sexualité qui peut se masquer derrière une dyspareunie ou un vaginisme.

Les ruminations anxieuses, typiques de la dépression, sont aussi des causes d’anorgasmie

Dans d’autres cas, la lutte pour la survie psychique et la recherche de l’investissement à tout prix de l’autre va conduire à une hypersexualité et à des comportements à risque soit pour la santé du sujet, soit pour le couple. 

Dans la majorité des cas, on observe une interdépendance entre la dépression et la dysfonction sexuelle.

Quand l’amélioration de l’un remet en question l’équilibre de l’autre 

Les effets secondaires de la prise en charge psychologique

Le traitement psychothérapeutique d’une dépression ou d’une dysfonction sexuelle est un processus souvent long et douloureux.

Il peut faire ressurgir des vécus traumatiques refoulés par l’individu, ou des problèmes de couple dont il n’a jamais parlé. Ceux-ci sont alors susceptibles de faire basculer dans la dépression ou bien d’avoir des conséquences sur la sexualité. 

Les effets secondaires des médicaments contre la dépression

Lorsqu’un traitement médicamenteux est mis en place, des effets iatrogènes peuvent apparaître. Ces effets secondaires sont liés à la rencontre entre une molécule et un métabolisme, à la variabilité et à la sensibilité individuelles.

Ainsi, les médicaments utilisés pour traiter la dépression sont associés à une prévalence élevée de troubles sexuels notamment de dysfonction érectile. Ces effets secondaires sont parfois même susceptibles d’aggraver la dépression :

  • Les antidépresseurs ISRS sont la classe de médicaments qui causent le plus de dysfonctions sexuelles (30 à 60 % des patients) et peuvent provoquer une dysfonction érectile, une diminution du désir sexuel et retarder l’éjaculation (effet secondaire d’ailleurs détourné par l’utilisation de la dapoxétine dans le traitement de l’éjaculation précoce).

  • Les neuroleptiques, dont quelques-uns permettent de traiter les dépressions résistantes ou qui servent d’anxiolytiques, peuvent entraîner une diminution du taux de prolactine qui provoque une baisse de la libido.

  • Les benzodiazépines, qui servent de traitements adjuvants à visée anxiolytique, sont à l’origine d’anorgasmie. 

Il faut aussi savoir que les antidépresseurs peuvent être à l’origine d’un virage maniaque pouvant s’accompagner d’une hypersexualité ou de passages à l’acte médico-légaux. 

A l’inverse, la dapoxétine, utilisée dans l’éjaculation précoce, est susceptible d’être une cause de dépression et de tentative de suicide.

Ces effets secondaires sont souvent la source d’inobservance médicamenteuse. Ils peuvent donc être responsables d’échecs thérapeutiques et de rechutes. C’est pour cela qu’il est primordial d’en tenir compte lors de la prise en charge des patients en consultation.

Enfin, il est également possible qu’existe, dès le départ chez un individu, un état dépressif et une dysfonction sexuelle, qui se seraient aggravées avec le traitement.

Les cofacteurs et les comorbidités liés à la baisse du désir et à la dépression 

Si la dépression n’a pas été provoquée par une dysfonction sexuelle ou inversement, les deux peuvent aussi provenir d’autres facteurs complexes : biologiques, iatrogènes, traumatiques etc. 

Ainsi, sur le plan iatrogène, on peut pointer du doigt les différents médicaments comme les pilules progestatives qui sont susceptibles d’entraîner directement des troubles de l’humeur et de la libido. 

Il en est de même pour les anti-androgènes et quelques-uns des neuroleptiques, par l’élévation du taux de la prolactine.

Au niveau biologique, on notera le déficit androgénique lié à l’âge et la ménopause qui, par leur privation hormonale, vont induire baisse de libido, trouble de l’excitation et dépression.

Enfin, un antécédent d’abus sexuel peut aussi entraîner une dépression et une dysfonction sexuelle.

Conclusion

Troubles de l’humeur et troubles sexuels, dépression et sexualité sont, la plupart du temps et de façon complexe, intriqués.

Or, nombreux sont les professionnels de santé, médecins généralistes, psychiatres ou psychologues qui n’abordent pas suffisamment le sujet de la sexualité avec leurs patients, ou bien le font de manière superficielle et expéditive.

Pourtant, une sexualité épanouie contribue grandement au bien-être des patients en difficulté psychique. 

La prise en compte de leurs troubles sexuels doit donc faire partie intégrante de la prise en charge de leur dépression et ne doit pas être considérée comme une perte de temps. C’est au contraire une étape primordiale, qui permet de libérer la parole, de mieux connaître son patient et de diminuer le risque de mauvaise observance des traitements.

Si vous êtes psychologue ou soignant et que le sujet de la santé sexuelle de vos patients vous intéresse (notamment en ce qui concerne le lien dépression et sexualité), mais que vous ne savez pas par où commencer, sachez que vous pouvez vous former à la sexologie.

Si vous souhaitez plus d’informations, n’hésitez pas à télécharger gratuitement notre livre Qu’est-ce qu’un sexologue ?, qui explique toutes les formations accessibles aux différents professionnels de santé en France, en Belgique, en Suisse et au Canada, ainsi que la prise en charge des difficultés sexuelles les plus souvent rencontrées.

Les auteurs

Catherine TROADEC est psychologue clinicienne et sexologue française, diplômée du Master 2 Professionnel de psychopathologie clinique, du Diplôme Universitaire de Criminologie Clinique et du Diplôme Inter-Universitaire d’Études de la Sexualité Humaine.

Le Dr Arnaud ZELER est Docteur en Médecine, diplômé de la Faculté de Médecine de Strasbourg ainsi que du Diplôme Inter-Universitaire de Sexologie de l’Université de Lyon.