73%. C’est le taux d’augmentation, ces dix dernières années, des sujets liés aux faits divers dans les journaux télévisés. Vols, meurtres, enlèvements, délinquances, agressions , viols, terrorisme, attentats, fraudes, abus financiers et j’en oublie. Ce chiffre, publié par l’INA (Institut National de l’Audiovisuel) m’a laissé bouche bée (pour ne pas dire sur le cul, car j’étais déjà assis 😉 ). Comment cette hausse est-elle possible ? Quelles conséquences possibles pour les rapports humains ?
Stimulation excessive
Replaçons tout de même cette donnée dans son contexte. Toujours d’après l’INA, les faits divers occupent la 7ème place des rubriques traitées dans les journaux télévisés derrière les sujets de société, l’information internationale, la politique, l’économie et le sport.
Encore heureux, aurais-je envie de dire !!
Pour autant, cette diffusion grandissante de messages que je considère comme anxiogènes, possède un effet pervers sur le long terme. Celui de stimuler à outrance la fibre émotionnelle des individus p(r)ostés devant leur télé. Ce n’est d’ailleurs pas vraiment un hasard si les faits divers impliquant des enfants ou des adolescents occupent 30% de la rubrique en question (soit quatre fois plus qu’en 2011). Quoi de plus efficace en effet que de jouer sur la fibre parentale ? Nous sommes nombreux à avoir un enfant, un neveu, une nièce, dans notre entourage. Les projections vont alors bon train et l’impact émotionnel est garanti.
Cette sur-stimulation des émotions maintient celui qui y est exposé dans un état de stress quasi permanent. Les études sur le stress sont légions et il est désormais reconnus que c’est l’exposition prolongée au stress qui est nuisible; pas le stress en lui-même qui est une réponse adaptée pour maintenir notre intégrité.
En 2006 déjà, le psychiatre Michel Lejoyeux (il porte bien son nom 🙂 ) écrivait ceci : “L’actualité nous donne à chaque heure de nouvelles raisons de rester en situation de vigilance inquiète. […] Certains d’entre nous font de ces peurs transmises par les médias une obsession. Ils y pensent sans cesse, ne parlent que d’elles et suivent plusieurs fois par jour les informations à leur sujet”. *
Il y en a qui se sentent visés ?
La Réalité du monde Réel et Véritable
Autre phénomène pervers de ce gavage toxique; la distorsion de la réalité.
Démonstration.
La réalité étant avant tout une question de perception, les faits divers qui nous sont présentés voire imposés lors des JT, seront filtrés au travers de la grille de nos croyances et idées préconçues. De fait, nous ne retiendrons “que” ce qui colle avec nos convictions; le reste étant purement zappé par notre conscience. La valorisation de l’esprit critique est alors mis aux oubliettes. En gros, nous ne sommes plus face à la formule de St Thomas qui dit “Je crois ce que je vois”, mais plutôt face à la formule de bibi qui vous propose “Je vois ce que je crois”.
Le résultat de cette mécanique de tri et un phénomène d’amplification du fait divers lui-même. Ce dernier sera perçu par le sujet comme LA Réalité avec toute la tendance à la généralisation que cela implique (c’est toujours comme ça, c’est tous les mêmes, etc.) au lieu d’UNE réalité au caractère exceptionnel ou à minima au contexte différent. C’est un peu comme si nous regardions une scène au travers d’un trou de serrure. Nous n’en verrions qu’une toute petite partie en ignorant tout ce qui se trouve autour et en accordant un crédit exclusif à ce que nous observons.
Pour résumer, je pense que la multiplication des faits divers dans les journaux télévisés induisent une représentation du monde étriquée et génératrice de peurs et d’anxiété.
Pas très bon pour les rapports humains tout ça.
Faire l’autruche ? Non plus
Pour finir ce billet, je voudrais contrebalancer mes idées en affirmant qu’il ne s’agit pas non plus de faire l’autruche en ignorant ce qui se passe autour de nous. Être informé sur le monde auquel nous appartenons me semble tout aussi important pour pouvoir interagir avec lui.
Il ne s’agit en aucun cas de nier l’existence des faits divers. Dans “faits divers”, il y a “fait”. C’est donc une observation objective de ce qui s’est passé à un moment donné.
Pour autant, je pense qu’il serait plus raisonnable de garder un esprit critique vis-à-vis du flot continue de faits divers dont les journaux télévisés nous alimentent au quotidien.
Sans cet “effort” de prise de recul, la digestion risque d’être difficile.
Sources :
INA (pour télécharger le rapport de l’INA, cliquez ici)
Sciences Humaines n° 250. Article : « Info : l’overdose ? » Par Marie-Catherine Mérat
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Bonjour
Je vous fais part de mon expérience, si ça peut apporter de l’eau au moulin : j’ai vécu dans des pays différents et à chaque fois, j’avais pas de télé ni radio au début. Je lisais pas les journaux non plus. Et j’étais parfaitement heureuse. Insouciante certes, mais heureuse
Oui, l’info, nuit à la santé (enfin la plupart du temps….)
Merci du partage de votre expérience Natacha.
La richesse des différentes cultures que vous avez dû rencontrer vaut toutes les infos du monde.
A bientôt.
Complètement d’accord avec cet article, j’avais noté également une hausse des faits divers dans les journaux, faisant même souvent les premiers titres, ce que je trouve dommageable. Comme tu l’expliques, à force de voir des gens agressés dans la rue, on en devient à envisager la rue comme un lieu principalement de violence par exemple. J’ai pour ma part pris du recul depuis quelques mois avec l’information, et je ne m’en porte pas plus mal. Je ne regarde plus les JTs qui accumulent les faits divers horribles, et préfère les émissions d’analyse de type C dans l’air, qui impliquent un plus grand recul et ne sombrent pas souvent dans la fibre émotionnelle, qui, si elle permet de faire de l’audience et de capter le spectateur, désinforme plus qu’elle n’informe.
Bien vu avec « C dans l’air » Hervé 😉 C’est l’une de mes émissions favorites.
Merci pour ton commentaire.
Effectivement, je pense que les mots employés dans les actualités que nous regardons chaque jour nous conditionnent dans notre propre insécurité. Conditionnés, il devient alors difficile de croire en la sécurité, l’opportunité, l’abondance, prospérité. N’y a t-il pas d’autres enjeux derrière tout ça?
Je ne sais pas si d’autres enjeux existent. J’observe les différents mouvements conspirationnistes avec un mélange d’intérêt et d’amusement.
Même avec ce type d’informations « underground », j’aime garder mon esprit critique. Je suis un fervent défenseur des vérités multiples et un farouche opposant de la pensée unique.
Je ne regarde plus les JTs qui accumulent les faits divers horribles, et préfère les émissions d’analyse de type C dans l’air, qui impliquent un plus grand recul et ne sombrent pas souvent dans la fibre émotionnelle, qui, si elle permet de faire de l’audience et de capter le spectateur, désinforme plus qu’elle n’informe.
Entièrement d’accord avec vous.
Je suis aussi fidèle à l’émission de Fréderic Taddéï « Ce soir ou jamais »