Difficile d’éviter le sujet. Le temps de laisser décanter un peu le choc des premiers jours, la situation que nous vivons tous en ce moment méritait de prendre un peu de recul ( le confinement étant propice à ce genre de méditation). Il m’est alors apparu comme assez évident que ce que nous sommes en train de vivre collectivement est une « bonne vieille » transition de vie. C’est donc sous cet angle-là que je vous propose une lecture de cette crise sanitaire hors du commun.

Les différentes phases que nous traversons lors d’une transition individuelle se retrouvent aussi au niveau collectif. C’est là que l’on voit que la transition est avant tout un processus interne qui se déclenche quand un changement externe se produit.

Pour mémo, les trois phases inhérentes à toutes transitions de vie sont les suivantes :

  1. Une Fin
  2. Une période de Confusion
  3. Un Nouveau Départ

Au début, c’est la fin

Tout processus de transition commence donc par une Fin. Au niveau collectif, de quelles Fins pourrait-il s’agir ?

Voici par exemple, deux types de Fins qui pourraient concerner notre fonctionnement collectif.

    • La Fin de notre sentiment de toute puissance

Depuis que l’Homme est Homme, il n’a de cesse de vouloir maîtriser son environnement et le modeler comme bon lui semble. Peu importe les conséquences pour ce même environnement, pour les générations futures ou même pour certains des pairs de son époque. 

Alors au début OK, la maîtrise de l’environnement était étroitement liée à sa survie. Mais dès l’époque du néolithique où l’agriculture et l’élevage a succédé à la chasse et à la cueillette, Homo Sapiens a pris un melon pas possible au fur et à mesure des époques; si bien qu’aujourd’hui les conséquences de ses actions sur l’environnement qui l’héberge et le nourrit est le cadet de ses soucis. Quelques personnes ont bien tenté des trucs pour éveiller les consciences, mais force est de constater que les résultats sont maigres.

Aujourd’hui, c’est un vulgaire Pangolin, ce petit animal qui ressemble à un tatou, et qui devait finir dans une assiette chinoise qui a mis le monde à genou.

Ca en fout un sacré coup à notre égo surdimensionné, n’est-ce pas ?

    • La Fin de notre course à la croissance pour la croissance

Plus récent dans notre histoire, l’expansion du capitalisme à outrance nous est revenu comme un boomerang en pleine figure. Les limites de ce fonctionnement et par conséquent celles de la mondialisation, nous sont clairement apparues avec les ruptures de stock massives dans de nombreux secteurs de l’industrie; tous ces secteurs où nous sommes dépendants de la production délocalisée (automobile, technologie, industries pharmaceutiques, …). Ceci dans une logique de baisse de coût et donc d’augmentation de bénéfices. Exemple avec la pénurie de certains médicaments produits dans des usines chinoises mises à l’arrêt en raison de la quarantaine.

Je suis loin d’être un anticapitaliste primaire. Je suis moi-même entrepreneur et suis dans une logique d’investisseur. Pour autant, de mon point de vue, si l’enrichissement n’a pas d’autre objectif que… l’enrichissement, alors le jeu n’en vaut pas la chandelle. S’enrichir oui, mais avec des objectifs pour améliorer concrètement sa vie et si possible celles des autres.

Les économistes s’entendent unanimement aujourd’hui pour annoncer une récession au sortir de cette crise sanitaire. Espérons que si la crise des subprimes de 2008 n’a que peu fait changer le fonctionnement global de l’économie mondiale (et ses mentalités), celle du COVID-19 verra le début d’une nouvelle façon de penser l’économie. La fameuse décroissance n’est désormais plus un concept, mais bel et bien une réalité tangible que nous vivons tous à l’échelle mondiale.

Au milieu, c’est le flou artistique complet

A la condition que les Fins soient acceptées et intégrées (celles citées plus haut ou d’autres auxquelles je n’ai pas pensé), l’affaire est loin d’être conclue. C’est en effet une période de confusion qui s’ouvre devant nous.

Les repères qui furent les nôtres jusqu’à présent ont été rudement mis à mal. Certains peuvent même être perdus définitivement. Du coup, quels sont les nouveaux piliers sur lesquels nous pouvons nous appuyer ? Quels sont les nouveaux repères nous indiquant que nous sommes sur le bon chemin ? Vers quels modèles de sociétés voulons-nous nous diriger ? Sur quelles fondations allons-nous reconstruire l’après-crise ?

Autant de questions dont l’absence de réponse génère légitimement un sentiment d’anxiété collective et la montée de toutes ces peurs primaires inhérentes à notre condition d’être humain. La première d’entres-elles étant de faire le constat que nous sommes bien plus vulnérables que nous le pensions (cf point 1 du précédent paragraphe). L’anxiété apparaissant en général quand nous nous confrontons à l’incertitude du lendemain, il est clair qu’en cette période où il n’y a rien de plus incertain que notre lendemain, la place est belle pour cultiver ce sentiment.

Pourtant, tout comme lors les transitions de vie individuelles, nous devons collectivement plonger au coeur de nos angoisses et nous confronter à nos zones d’ombre. Regarder en face ce que nous fuyons depuis des années : nos comportements, nos valeurs, nos croyances et même notre identité collective. Et quoi de mieux qu’un confinement décrété à grande échelle pour atteindre ce but ?

Si nous ne pouvons plus « être » ce que nous étions hier, qui souhaitons-nous devenir aujourd’hui pour vivre demain ?

En faisant l’économie de ce travail d’introspection, le risque est de laisser la peur aux commandes de nos vies. Et je ne vous apprends rien; la peur, quand il ne s’agit pas de survie mais de projets, est bien mauvaise conseillère.

Et nous voilà à l’aube d’un nouveau départ

Personne ne peut prédire le temps que va durer cette période de confusion où l’humanité va faire du ménage dans son placard à fantômes et chercher en elle-même les nouveaux principes sur lesquels s’appuyer. Ce qui est sûr du point de vue du processus des transitions, est qu’il est nécessaire de se perdre pour pouvoir se retrouver.

La question maintenant est d’imaginer de quoi sera composé notre futur. Je vous en propose quelques éléments avec tout l’optimisme qui me caractérise tout en laissant en mode « silencieux » ma petite voix rabat-joie; celle-ci me sussurant quand même à l’oreille que je sous-estime peut-être la puissance des ancrages collectifs et que les mémoires sont parfois bien courtes quand il s’agit de leçons de vie que la nature nous donne épisodiquement. 

    • Une nouvelle façon d’être en relation à l’autre

Ce confinement obligatoire a remis en perspective notre rapport aux autres. Si l’ère du virtuel a généré un appauvrissement des relations humaines de proximité, nous mesurons aujourd’hui combien Aristote avait raison de dire que « l’Homme est un animal social ». Peut-être alors qu’un nouvel équilibre émergera entre des rapports humains un peu plus connectés dans la vraie vie et des connexions virtuelles un peu plus humaines au travers des écrans. 

    • Une nouvelle façon de concevoir le travail

Sur ce point-là, je ne prendrais pas trop de risque en affirmant qu’après ce scénario digne d’un film d’anticipation, tout ce qui tourne autour du travail à distance va connaître une forte expansion. De fait, vont émerger de nouvelles façons de concevoir le management, les liens entre les collaborateurs ou l’étroite frontière qui sépare la confiance du contrôle.

Par ailleurs et plus que jamais, le fameux équilibre vie pro / vie perso, St Graal de ces dernières années, prendra tout son sens. Les travaillomanes verront peut-être qu’ils passent à côté de quelque chose de plus essentiel que le travail et redéfiniront ainsi leurs priorités. De même les candidats au burnout profiteront de ce repos forcé (et pourtant salutaire) pour sortir la tête de l’eau et prendre conscience que l’environnement professionnel dans lequel ils se consument à petit feu n’est pas ou plus adapté à leur rythme de vie.

    • Une nouvelle façon de consommer

Alors attention, sur ce coup-là ce ne sera pas pour tout de suite. Il y a, au contraire, fort à parier qu’après la période de frustration que connaît bon nombre de « shopping addicts », il devrait y avoir un pic de consommation (quoique, en même temps, avec la récession, l’argent à dépenser ne sera pas forcément au rendez-vous). 

En revanche, cette période de confinement a pu chez certains faire office de « cure de désintoxication ». Du coup, leur mode de consommation se fera peut-être dans une logique d’achat en conscience avec LA grande question à se poser avant d’acheter n’importe quel produit:

« En ai-je vraiment besoin ? »

Ce confinement forcé peut aussi être vu comme une retraite. Chaque année, des centaines de personnes éprouvent ce besoin de se mettre en retrait de la vie active en se rendant dans des monastères, des lieux isolés et coupés du monde extérieur. Ceci dans un seul but : celui se reconnecter à elle-mêmes et revenir à l’essentiel. Bien entendu l’essentiel est différent pour chacun de nous, mais le fil rouge est de prendre soin de soi en prenant conscience de ce qui compte vraiment dans nos vies. A partir de là, les priorités se redéfinissent et chacun pourra adapter ses comportements pour vivre plus en harmonie avec ses valeurs et donner peut-être un nouveau sens à leur vie. 

    • Une nouvelle façon de prendre soin de notre planète

Enfin, peut-être LE nouveau départ que beaucoup clame à corps et à cris depuis de nombreuses années, la prise de conscience écologique.

Rendez vous compte, en l’espace de quelques jours, suite à la chute drastique de l’activité humaine, la nature a déjà commencé à reprendre ses droits. Des dauphins dans un port en Sardaigne, des eaux claires à Venise et les poissons qui vont avec, des canards dans les rues désertes de Paris, une diminution de la pollution atmosphérique visible depuis l’espace, des cerfs dans la rue d’une ville au Japon, partout les preuves s’accumulent et nous montre que la nature peut largement se passer de nous.

Pouvons-nous aujourd’hui affirmer le contraire ?