Partager la publication "Est-il possible de se défaire de ses pensées négatives ?"
Cela faisait bien longtemps que je n’avais participé à un événement inter-blogueurs. L’occasion m’a été donné de remettre le pied à l’étrier grâce à Grégory du blog prendreconfiance.com. Si vous ne connaissiez pas le concept, l’idée est de regrouper plusieurs blogueurs de la sphère devperso et de les faire plancher sur un sujet commun. En l’occurrence, le sujet que Grégory nous propose est « Comment vaincre les pensées négatives ?« . Au final, vous obtenez le point de vue de plusieurs personnes ayant réfléchi sur la question et pourrez en profiter grâce à un ebook que Gregory aura eu le loisir de créer pour cette occasion. Et pour l’heure, je vous propose ma contribution à cette question.
Pour celles et ceux qui me lisent depuis quelques temps, vous connaissez ma frilosité vis-à-vis des mots comme « vaincre », « combattre », « terrasser », « chasser », « affronter » et tous ces mots qui donnent une connotation guerrière à des processus intrapsychiques souvent complexes. Cela reviendrait en quelques sortes, à vouloir entrer en guerre contre soi-même. Et une guerre, je ne vous apprends rien, on peut la gagner comme on peut la perdre, en raison de tout un tas d’éléments qui ne dépendent pas que de nous. Il me paraît donc risqué de vouloir entrer en guerre contre nous-même.
Du coup, j’ai préféré reformuler la problématique de départ en sortant de l’injonction guerrière pour me diriger vers une réflexion plus douce vis-à-vis de soi. Je suis très attaché à l’écologie personnelle; que ce soit avec mes patients et clients ou pour moi-même. J’ai une croyance qui me dit que le changement génère sûrement de l’inconfort, mais pas nécessairement de la souffrance ou de la douleur. Tout dépend de comment il est accompagné.
Les pensées, ces sécrétions naturelles de notre cerveau
Nous aurions jusqu’à 60000 pensées par jour. SOIXANTE MILLE !!!.
Bien entendu la grande majorité de ces pensées passent complètement inaperçues aux yeux de notre conscience et sont purement automatiques (on ne les contrôle pas). Celles qui restent sont soit celles qui nécessitent un effort conscient pour les produire (par exemple quand nous devons résoudre un problème ou planifier une tâche), soit celles qui s’octroient le plus de place dans notre tête (les ruminations anxieuses en font partie, suivies de près par nos croyances sur soi, les autres ou le monde)
Si vous souhaitez avoir un tout petit aperçu de la multitude de pensées qui s’agitent sous votre crâne, tentez l’expérience de la méditation. Asseyez-vous confortablement, commencez à focaliser votre attention sur votre respiration et vous verrez qu’au bout de quelques secondes votre attention sera détournée par les premières pensées qui sortent au grand jour.
Concernant les pensées négatives, vous conviendrez facilement que vouloir s’en défaire n’est que peine perdue. C’est un peu comme si je vous demandais d’arrêter de respirer. Ca va aller une minute ou deux, mais après ça va vite devenir compliqué. Etant donné que la production de pensées est l’un des nombreux jobs du cerveau (qu’elles soient positives ou négatives), je vous souhaite bonne chance si vous voulez le licencier pour « production non désirée« . D’ailleurs, plus vous essaierez, plus votre cerveau fera du zèle en augmentant sa production de pensées négatives.
Baisser le feu sous la casserole
Matthieu Ricard, célèbre moine bouddhiste français propose une métaphore intéressante concernant le lien entre les pensées et les émotions.
Il dit que le rapport entre les unes et les autres est comme une casserole d’eau que l’on met sur le feu. Plus le feu (représentant les émotions) sera fort, plus la tendance de l’eau dans la casserole (les pensées) sera d’entrer en ébullition. Et par conséquent, en baissant le feu sous la casserole, vous allez automatiquement diminuer l’ébullition de l’eau.
Nous l’avons tous remarqué à un moment ou un autre de notre vie. Quand notre humeur est triste, que nos émotions et sentiments sont désagréables, la couleur de nos pensées tire plutôt vers le gris, voire le noir. A contrario, quand l’humeur est positive, que les émotions et sentiments sont agréables, le paysage de nos pensées tend à être riche en couleurs.
Peut-être que certains d’entre-vous rétorquerons que c’est justement parce-que les pensées sont négatives que les émotions et les sentiments sont désagréables. Que ce serait donc plutôt dans ce sens là que le truc fonctionnerait.
Je me suis longtemps posé cette même question. Qui de l’oeuf ou la poule …, bla, bla, bla. ?
Après quelques recherches d’études psy sur le sujet, il s’avère que les résultats se contredisent selon les courants de pensées. Certains avancent que les émotions précèdent les pensées pendant que d’autres clament le contraire.
Mon point de vue ?
Je m’en bats l’oeil.
En effet, je considère que les pensées et les émotions forment un duo indissociable dont les liens fonctionnent dans les deux sens. Aussi, ma position se résume à cette expression :
« si je ne peux pas rentrer par la porte, je vais voir comment je peux rentrer par la fenêtre »
Autrement dit, quand j’accompagne un client ou un patient qui est envahi de pensées négatives, j’explore avec lui la voie de la cognition et celle des émotions et le suit sur le chemin qu’il est prêt à emprunter.
Concrètement, et pour apporter quelques éléments de réponse au sujet de cet article, voici mon approche.
La voie cognitive
Si c’est la voie de la cognition qui s’ouvre, alors j’explore avec mon client toutes les possibilités de recadrage de pensées. Parmis elles, il existe un outil connu dans les thérapies comportementales et cognitives : les colonnes de Beck.
Il s’agit de créer un tableau à cinq colonnes où sont décrits les éléments suivants :
- La situation, l’événement, le contexte où est apparue la pensée négative
- La ou les émotions qui sont associées avec une évaluation de leur intensité sur une échelle de 0 à 10
- La fameuse pensée automatique négative qui a surgit à ce moment-là et l’évaluation du degré de croyance en cette pensée (toujours sur une échelle de 0 à 10)
- La recherche d’une ou plusieurs pensées rationnelles alternatives à la pensée négative (toujours en évaluant le degré de croyance)
- Et enfin le résultat où il s’agit de réévaluer l’intensité de l’émotion ainsi que le degré de croyance à la pensée négative du départ.
Voici un exemple
La voie émotionnelle
Rappelez-vous que si l’état émotionnel est agréable ou neutre, il y a fort à parier que les pensées seront du même acabit. Du coup, la stratégie que l’on explore avec mon client est celle de la régulation émotionnelle. Pour cela, je propose d’identifier quels sont ses besoins non satisfaits dans la situation qu’il vit et qui génère des pensées négatives.
En effet, derrière des émotions et sentiments désagréables il y a très souvent des besoins fondamentaux non satisfaits. Prenons trois exemples faciles à visualiser :
- Face à un danger, si mon besoin de sécurité n’est pas satisfait, je vais éprouver l’émotion de Peur
- Face à une perte, si mon besoin de soutien et de me sentir entouré n’est pas satisfait, je vais éprouver la Tristesse
- Face à un dommage subi ou une frustration, si mon besoin de réparation n’est pas satisfait, je vais éprouver le Colère
J’utilise alors une sorte de cartographie où mon client évalue la satisfaction de ses besoins dans huit domaines de sa vie. Le résultat fait ressortir les besoins prioritaires à satisfaire et nous envisageons ensemble des moyens concrets pour y arriver. En expérimentant ces actions concrètes, mon client verra la satisfaction de ses besoins augmenter de quelques points et par conséquent, les émotions et sentiments éprouvés seront plus agréables. Au final, c’est tout le paysage de ses pensées qui aura tendance à s’éclaircir.
Voici à quoi ressemble cette cartographie quand elle n’est pas encore remplie.
Pour conclure
Les pensées font partie intégrante de notre condition d’être humain. Qu’elles soient positives ou négatives, elles sont là. C’est le job de notre cerveau de produire des pensées. En fonction des circonstances et de l’état émotionnel dans lequel on se trouve, les pensées peuvent prendre une tournure plus ou moins maussade. S’il est vain de vouloir empêcher leur apparition, il est toutefois possible d’agir sur quelques-unes d’entre-elles pour qu’elles prennent moins de place dans notre tête; surtout si elles nous polluent la vie. Cela demande un minimum de travail sur soi, si possible en étant accompagné par un professionnel formé et expérimenté.
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Bonjour Christophe,
Super intéressant comme article ! Merci beaucoup 🙂
Je me pose la question quant à la méditation, que je pratique moi même. Si le but de cette dernière est de se concentrer sur notre respiration pour justement, atteindre un état où la concentration prend le pas sur les aléas des pensées, n’est-ce pas un bon moyen de lutter contre les pensées négatives ?
Plus de contrôle sur notre flux de pensées = possibilité de « chasser » (désolé pour le terme un peu guerrier 😉 ) les pensées négatives !
Je ne connaissais pas la colonne de Beck. Je l’appliquait de manière inconsciente car finalement, c’est de la rationalisation. Mais en effet, ça permet de poser la situation sur papier.
Un dernier truc très intéressant est ton approche vis à vis des besoins fondamentaux. Je me réfère très souvent à la pyramide de Maslow, mais j’aime beaucoup ta cartographie qui est je pense plus « parlante ».
Super instructif, merci encore 😉
Bonjour Guillaume
Merci pour ton commentaire.
Concernant la méditation, je suis bien d’accord avec toi sur son bénéfice pour réguler le flot de pensées et à fortiori de pensées négatives. La méthode consistant à les laisser passer tels des nuages dans le ciel, nous invite du même coup à éviter de nous y accrocher. C’est pas évident au début, mais la pratique régulière apporte indéniablement des bienfaits sur ce sujet (et bien d’autres).
Au plaisir d’un prochain échange
Christophe
Merci pour cet article. J’ai résumé dernièrement le livre du Dr Russ Harris sur la thérapie ACT, Le piège du bonheur, qui préconise plutôt d’arrêter de croire ses pensées, de s’en défusionner, car il pense qu’il est impossible de remplacer ses pensées négatives par des positives. Je trouve cette approche intéressante mais totalement à contre-courant des préconisations actuelles. Qu’en pensez-vous ?
Bonjour Delphine
Merci pour votre commentaire
Je suis à 100% d’accord avec vous. Les pensées sont des sécrétions du cerveau. On ne peut non seulement pas les empêcher de venir (exit donc le fameux « ne penser à rien »), mais on ne peut pas non plus les trier (toi t’es positive donc je te garde; toi t’es négative donc je te jette). Ca ne fonctionne pas comme ça.
En effet, les approches permettant d’accueillir et d’accepter les pensées, quelles qu’elles soient avant de recadrer celles qui nous mènent dans des impasses, sont intéressantes. C’est tout l’enjeu des accompagnements des TCC et autres approches dont celle que vous citez l’ACT (thérapie d’acceptation et d’engagement)